LIFE Paris

Mesdames et Messieurs,

Je suis ravi d’avoir l’occasion de m’adresser à vous ce soir, et je voudrais commencer mon intervention en remerciant LIFE, l’équipe organisatrice, et vous tous ici présents. Chacun de vous représente à sa manière et dans son milieu ce que le Liban fait encore de mieux, c’est-à-dire une ressource humaine d’une très grande qualité, notamment dans le monde de la finance qui est le notre. Alors que la productivité libanaise reste très basse après de longues années de conflits et une accoutumance à la rente plutôt qu’à l’effort, le Liban continue d’exporter sa matière grise à un rythme effréné. Or si cela l’avait mis en tête des entités nationales globalisées du monde, cela contribue en ce moment à creuser le fossé entre le Liban intra-muros et sa diaspora, alimentant une incompréhension grandissante entre ces deux composantes.

Je vais ce soir, si vous le voulez bien, décrire d’abord ce que je pense être les principaux challenges actuels du pays et de son système financier, puis dans un deuxième temps tenter d’expliquer comment et pourquoi un modèle en apparence excessivement fragile parvient à se perpétuer. Je traiterai ensuite quelques-uns des défis financiers et bancaires du pays, pour déboucher enfin sur un scenario de sortie de crise vers une spirale vertueuse.

Mesdames et Messieurs, des challenges, le Liban en a à en revendre. Il y a ceux qui sont là depuis un moment déjà, et ceux qui sont relativement récents. Il y a également des facteurs exogènes et d’autres endogènes. Passons rapidement en revue les fondamentaux du souverain, élément déterminant pour la situation du secteur financier. Il n’est malheureusement pas nouveau de dire que le Liban souffre de maux chroniques tels que les deux déficits, celui des finances publiques et celui du compte courant. Cela s’est traduit par une aggravation de la dette publique, mais aussi de la dette privée qu’on aurait intérêt à ne pas oublier. La contrepartie de cela a été la croissance remarquable des actifs bancaires qui sont passés de 45.6 mille milliards de LL en 1997 à 280.4 mille milliards de LL en 2015. Ce phénomène de la dette, avec d’autres, a évidemment contribué à l’accroissement des inégalités et par conséquent, à l’élimination brutale de la classe moyenne, seule à même de porter des projets de reforme d’un système qui en a grandement besoin. Plus généralement, cette première défaillance n’est autre qu’un mauvais système de redistribution, aggravé par des dépenses publiques servant trop souvent des intérêts particuliers, et par une fiscalité toujours tres favorable à la rente et défavorable à l’investissement et au travail, même si on tente d’y introduire – au forceps – quelques corrections. D’autres problèmes évidents sont l’absence d’un agenda de croissance et la tres faible diversification de l’économie nationale (real estate construction, tourisme, emplois formalisés tels que banques, éducation et hôpitaux), l’incapacité à générer de l’emploi, en particulier dans les strates supérieures (lorsque la croissance atteignait 8 et 9% en 2008-2010, le taux de croissance de l’emploi stagnait à 0.5%), les déficiences énormes des infrastructures et des services publics, véritables goulots d’étranglement de l’économie, dues à des niveaux de corruption record depuis la fin de la guerre et jusqu’à nos jours, l’incapacité de l’Etat à définir son rôle et son rayon d’action, intervenant là où il ne devrait pas le faire et étant absent là où son action est cruciale. Un autre élément capital est la grande faiblesse des filets sociaux, garants des plus démunis. Cette faiblesse a des conséquences aussi diverses que l’exode des jeunes, ayant à choisir entre payer le prix de la mauvaise gestion et de la dette qui s’en est suivie et entre le départ vers des cieux où la retraite et les services de base sont assurés, ou l’instabilité sociale, voire encore l’encouragement à la corruption afin de sécuriser ses vieux jours. Je cite enfin en vrac la rigidité du marché du travail, les problèmes de l’outil judiciaire, et la mainmise sur l’administration.

Il y a de cela peu de temps est venu se rajouter à ses éléments plusieurs facteurs qui pourraient être des « game changers ». Le plus visible est bien entendu l’impact à beaucoup de niveaux de la guerre en Syrie. 1.7 million de refugiés syriens répertoriés, sans oublier les refugiés palestiniens de Syrie, signifierait une extraordinaire concentration de main d’œuvre disponible pour un Etat capable de prendre sa destinée en main. Or dans notre cas, ça signifie une montée du chômage, surtout chez les jeunes (plus de 25%), 290.000 libanais de plus qui tombent sous le seuil de la pauvreté, en sus du million existant, beaucoup de dépenses sécuritaires supplémentaires de long terme (recrutement, maintenance, munitions), une détérioration de l‘environnement (3.9 milliards de $ par an) et des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles…), et un crowding-out des Libanais des services publics (à l’école publique, on compte 210000 élèves libanais et déjà 230000 élèves syriens, qui atteindront 400000 au cours des deux années à venir). Il y a par ailleurs plus de 2.5 milliards de dollars qui sortent du Liban en cash vers la Syrie tous les ans, ce qui augmente substantiellement les besoins du marché.

Un autre élément nouveau important dans le paysage et qui n’est pas sans rapport avec le premier est le déficit récurrent de la balance des paiements. C’est un phénomène nouveau qui est apparu plus ou moins vers le début de la tragédie syrienne, alors que le Liban moderne n’avait jamais connu plus de deux années consécutives de déficit.

Un troisième facteur est la réglementation internationale relative à la transparence fiscale, à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Si le Liban a fait les efforts nécessaires sur les deux derniers, nous sommes toujours dans l’attente du gouvernement et du parlement pour la simplification de la procédure de l‘échange d’information sur demande, de la définition de la notion de résidence fiscale, de l’annulation des actions aux porteurs et d’une législation sur les trustees. En attendant cela, nous nous sommes engagés à faire l’échange automatique d’informations à partir de septembre 2018 et les préparatifs vont bon train, et nous avons émis deux circulaires de la banque centrale en attendant les lois, l’une interdisant aux institutions bancaires et financières de traiter avec des structures ayant des actions au porteur, et l’autre simplifiant l’échange d’information. Cette réglementation internationale est de nature à changer un certain nombre de règles du jeu.

Bien entendu, un facteur exogène supplémentaire est le contexte de de-risking auquel font face les marchés émergents, et les couts opérationnels supplémentaires qui en découlent et qui sont à ajouter aux couts croissants de la compliance. Au Liban en particulier, à l’intersection du de-risking et de la réglementation internationale se trouvent les conséquences de la loi HIFPA sur le financement du Hezbolah, qui sont aussi dynamiques que peut l’être l’action du Congrès US.

Un autre élément durable est le niveau des prix des hydrocarbures, qui a un coefficient de corrélation très élevé avec les flux de capitaux entrants au Liban. Cette année, ces flux seront vraisemblablement substantiellement plus bas que leur niveau habituel. Quand on sait que les besoins de financement de l’Etat sont en hausse permanente, et que le déficit risque de dépasser les 5.5 milliards de dollars, on a vite fait de mesurer l’importance de cette évolution, à laquelle il faudrait rajouter le désengagement des pays du Golfe vis-a-vis du Liban et de son immobilier en particulier.

Autre élément nouveau à l’origine de bien des développements géopolitiques méditerranéens, la présence de pétrole et de gaz en face du littoral, avec un potentiel élevé d’en trouver dans les eaux libanaises. A l’immense opportunité fait face un énorme danger : la tentation par une classe dirigeante ayant déjà spolié les générations futures par l’explosion de la dette, de les spolier à nouveau en les dépossédant de la manne. En effet, deux tendances s’affrontent déjà sur ce sujet : la première qui voudrait utiliser les produits de la vente de manière immédiate en réduisant brutalement la dette et en s’engageant dans des dépenses énormes, sans se soucier du phénomène de Dutch disease, ni des inégalités croissantes et de l’inflation galopante, privant les générations futures de leurs droits pour accentuer encore plus leur mauvaise gestion des actifs publics, et la deuxième, consciente du fait que les hydrocarbures sont des actifs à convertir en actifs financiers, et non des rentrées, et que la bonne gestion suppose de bénéficier des rendements de ces actifs pendant une durée de temps indéterminée plutôt que de les dilapider sur ce qu’on appelle « des routes qui ne mènent nulle part ».

Last but not least, et dans un phénomène qui a commencé dès les débuts de la deuxième République, l’état de la gouvernance est devenu calamiteux. L’incapacité à élire un président de la République est symptomatique, mais elle ne doit pas cacher l’incapacité du système à réaliser le b a ba de ses fonctions. Ni élection parlementaire, ni nominations militaires et administratives, ni vote de lois critiques, ni budget, ni comptes financiers, et une corruption effroyable. Etant donné l’étendue des challenges auxquels nous faisons face, une situation de gouvernance pareille est plus qu’inquiétante. Le système flirte avec sa fin, et un nouveau modèle est clairement nécessaire tant au niveau politique qu’au niveau économique.

 

Ayant survolé les challenges et mesuré leur amplitude, il serait cohérent de se demander pourquoi cela tient quand même, comme étape importante avant de réfléchir à des solutions réalistes. On ne peut nier l’importance du soutien extérieur qui se traduit de diverses manières. D’abord, le soutien en matériel militaire, vu que les forces armées libanaises se battent contre Daesh et Al Nusra à la frontière nord-est du pays. Le soutien sécuritaire est également manifeste, puisque le pays réussit à faire face à une activité soutenue d’éléments perturbateurs. Dans ces deux cas de figure, il est évident que la volonté de stabilisation est liée a la présence sur le sol libanais de refugiés en tres grand nombre que l’occident serait bien avisé de ne pas pousser à un nouvel exil. Et c’est précisément sur cette constatation que j’ai bâti un certain nombre d’initiatives de la manière suivante : partant du principe que la stabilité de moyen / long terme ne pouvait être assurée par le double soutien militaire et humanitaire, et qu’il fallait pour le moins introduire un élément de développement économique, j’ai entrepris de convaincre nos interlocuteurs de cette réalité et de la traduire avec chacun d’eux en une initiative dans le cadre de leur champ d’action. Par exemple, nous avons lancé avec la Banque Mondiale et la Banque Islamique de Développement la Concessional Financial Facility, qui a pour but d’assurer au Liban plus d’un milliard de dollars en prêts très subventionnés pour nos besoins de développement. Cette initiative financera, dès que les autorités libanaises auront légiféré en conséquence, des projets tels que des routes rurales, une voie expresse côtière, l’assainissement de l’eau, un dépotoir, des centrales électriques, le port de Tripoli et une ligne de chemin de fer, des zones industrielles, etc. L’idée part du principe que le Liban rend un service public global à l’humanité en accueillant autant de refugiés et qu’en contrepartie de cela, il devrait recevoir des dons pour ce service. Or les dons en question marquent le pas, puisqu’en cinq ans, les contributions n’ont pas dépassé les 100 millions de dollars. Bien sûr, beaucoup d’aide passe par les agences onusiennes, mais le plan de soutien que nous avons développé comporte trois niveaux : aide humanitaire sous forme de dons, assistance macro fiscale sous forme de dons, et soutien à l’agenda de développement sous forme de prêts concessionnels. Face a l’incapacité du monde à répondre à nos besoins, nous avons mis en avant le fait que tout projet de développement que le Liban exécute est évidemment bénéfique aux refugiés. Il est donc juste de financer la part de bénéfice libanaise aux taux habituels, et la part de bénéfice syrienne par des dons. Ces dons servant à acheter le coût des intérêts sur les prêts, nous nous retrouvions avec des prêts très subventionnés pour lesquels un pays comme le Liban n’était pas éligible. Ainsi, nous profitons – si j’ose dire – de la crise pour financer nos infrastructures à moindre coût.

Toujours selon cette même logique, j’ai négocié l’accession du Liban à la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement, accession arrachée au bout de 18 mois de négociation au plus haut niveau avec les principaux actionnaires, vu que la BERD apporte de l’argent frais, du financement d’infrastructure, et des financements pour le secteur privé qui est en pleine mutation. L’argument qui a finalement fait mouche est la nécessité de soutenir le pays économiquement contre l’extrémisme montant, tout comme il est soutenu militairement pour les mêmes motifs, le militaire à lui seul ne pouvant pas apporter de solution à long terme.

Une autre raison, inavouable cette fois, pour laquelle nous tenons est qu’aucun autre système ne garantirait autant d’avantages et de bénéfices aux différents acteurs qui ont mis le pays sous coupe réglée. Cela est malheureusement tellement vrai que malgré la haine, les joutes et même les affrontements qui séparent lesdits acteurs, ils sont solidaires comme une même personne dès qu’il faut défendre le système en question. C’était déjà vrai en 1994, lorsque la loi Solidere fut votée, c’était vrai également en 2002 lorsque ma loi sur la TVA fut votée en un article unique, vu que le système était au bord de la faillite et qu’il fallait le sauver, et c’est vrai encore aujourd’hui lorsque pratiquement tous réunis font bloc contre toute tentative de changement.

Nous tenons également parce que nous sommes toujours actifs auprès des organismes de ce monde. Si l’entrée du Liban à la BERD, qui n’attend plus que notre parlement, en est un exemple, un autre est la négociation qui dure depuis des années avec l’OCDE et le Forum Mondial sur la Transparence Fiscale. La lutte pour éviter au Liban d’être sur une liste noire consiste à persuader nos compatriotes du changement inéluctable, nos vis-à-vis de notre bonne foi, et de tenir un calendrier qui se fait excessivement pressant malgré la paralysie gouvernementale et l’absence de sessions parlementaires. Ce matin-même, j’étais encore une fois avec nos partenaires de Global Forum pour évaluer la situation qui ne tolère plus le moindre retard. J’ouvre une parenthèse concernant les implications que l’échange automatique d’information aura pour le Liban, vu que cela concerne beaucoup de gens ici présent. En pratique, lorsque l’échange commencera, le secret bancaire tombera pour les non-résidents, et les institutions bancaires et financières auront l’obligation d’informer les autorités fiscales des pays où les détenteurs de compte sont résidents des détails des opérations et des soldes. Cela est vrai également pour les résidents au Liban détenant des comptes à l’étranger, et ce détail est important parce que la loi libanaise soumet à l’impôt tous les revenus de capitaux réalisés à l’étranger par les résidents. Et comme il y a effet rétroactif du reporting pour couvrir 2017, j’encourage les personnes concernées à régulariser au plus tôt leur situation, sachant que le fisc libanais est actuellement très permissif vis-a-vis de ceux qui entreprennent de régulariser leur situation.

Nous tenons aussi parce qu’il y a énormément d’intérêts en jeu. Le Liban n’est pas un pays démuni, et n’est pas non plus un pays où l’essentiel des actifs est détenu à l’étranger. Bien sûr, notre diaspora est remarquablement riche, mais les résidents gardent une partie importante de leur richesse au Liban. Cela a des conséquences, puisqu’en plus de la tres grande confiance dans le secteur bancaire que la banque centrale a réussi à maintenir, il y a une tres grande dépendance entre la finance publique et les institutions bancaires, qui favorise le financement de l’Etat et la profitabilité des banques à la fois. Même s’il est clair que cela se fait au détriment de l’économie réelle, cela procure au système une grande stabilité. De fait, les développements récents ont .prouvé que le gouvernement libanais était encore capable de financer ses besoins sans cesse croissant en émettant à 7.90% en livres libanaises pour une maturité de 15 ans, alors que les dernières émissions en dollars cotaient 6.85% sur 13 ans.

Du coté des banques, on pouvait s’attendre à une période difficile étant donné les pré-requis en terme de capitalisation et les normes IFRS qui s’imposaient, en cette période où il est particulièrement difficile d’attirer de l’investissement. Dans une vaste opération visant plusieurs objectifs à la fois, les autorités libanaises ont réussi à mobiliser un montant impressionnant de capitaux, dont la moitié provient de l’étranger. Le ministère des Finances a d’abord émis deux milliards d’eurobonds pour soutenir les réserves de la banque centrale. Au directoire de cette dernière, où je siège également, nous nous sommes engagés en contrepartie à couvrir les besoins en devises du Trésor à hauteur de ce même montant, et à ne pas émettre de certificats de dépôts à long terme pour ne pas concurrencer les bons du Trésor. Ensuite, le gouverneur a lancé une opération d’envergure pour augmenter ses actifs en devises et escompter des revenus futurs pour les banques ayant besoin d’apport immédiat. Le succès de cette série de manœuvres ne signifie pas pour autant que les reformes structurelles et profondes peuvent encore se faire attendre, mais dans une situation telle que celle que nous traversons, ça a le mérite de donner du champ. La boucle n’est d’ailleurs pas encore bouclée, puisque nous travaillons maintenant selon deux axes à absorber la très grande liquidité laissée sur le marché par les opérations de la BDL, que je ne peux malheureusement pas encore divulguer.

Avant de clore la partie relative aux développements sur la scène bancaire et financière, je suppose qu’il est utile de dire deux mots de la loi HIFPA. Le vrai problème posé par cette loi n’est pas relatif aux comptes du Hezbollah et de ses organisations. Il est beaucoup plus lié aux dangers de débancariser toute une partie de la population libanaise par souci d’éviter le moindre risque quant à une possibilité de liens avec l’organisation, dans une sorte de de-risking sur la scène locale. Les coûts d’une compliance à toute épreuve étant élevés, les institutions pouvaient être tentées par des solutions de facilité radicales, surtout que leurs correspondants étrangers peuvent être également tentés de couper les ponts avec elles, non seulement parce que les volumes libanais justifient difficilement une grande prise de risque (de-risking général), mais aussi parce que la loi HIFPA est particulièrement dure à appréhender par une institution étrangère (de-risking spécifique). Voilà pourquoi il était nécessaire d’introduire dans l’équation une responsabilité des autorités publiques. A l’heure actuelle, il y a conformité totale concernant les individus et entités listés sur l’OFAC, alors que pour toute autre compte, l’institution concernée doit en référer au Special Investigation Committee avant de prendre des mesures.

Je voulais également vous parler du développement, certes lent mais régulier, des marchés financiers, avec l’action de l’Autorité des Marchés de Capitaux dont j’avais présenté le projet de loi en 2004 et qui fut finalement voté en 2012, mais je pense avoir suffisamment pris de votre temps et je laisse cela à notre discussion qui suivra si vous le jugez utile.

 

Alors que faire ? Il y a bien entendu les réponses faciles et les solutions de facilité qui couvrent en réalité un appétit encore plus vorace. Par exemple, sous prétexte de l’incapacité du secteur public à être au niveau de ses responsabilités – incapacité d’ailleurs imposée par ceux-là même qui décrient son inefficacité – on avance des solutions simplistes telles que des privatisations à outrance ou encore des projets PPP. Or si l’intérêt d’avoir recours au PPP ou à des privatisations dans certains domaines est une évidence dans certains contextes où les institutions fonctionnent bien et où les droits des citoyens sont garantis, il fait sourire d’écouter les gens prêcher pour une privatisation où l’on sait d’avance que le contribuable sera spolié, où le monopole public risque d’être remplacé par un monopole privé, et où les tarifs risquent d’être rédhibitoires pour le contribuable. Quant aux PPP, comment pourrait-on prétendre avoir les moyens d’en tirer un bon deal pour le citoyen dans un contexte où la corruption risque d’entacher un marché sur trente à cinquante ans au lieu des 3 à 5 ans que nous subissons déjà et qui deviennent insoutenables ? Il ne sert à rien au pouvoir politique de fuir ses responsabilités d’établir un Etat de droit dans lequel les droits des citoyens sont préservés en essayant de promouvoir au lieu de cela des outils de financement ou de gestion. Je suis particulièrement attaché à un programme de privatisation, ainsi qu’à donner au Liban des outils de financement supplémentaires tels que les PPP, mais il faut a priori, pour qu’ils aient un effet positif et non catastrophique, s’assurer d’une bonne gouvernance publique pour superviser et gérer le processus. Sinon, nous risquons de subir à nouveau des conséquences comparables à celles du cellulaire ou de la mécanique, ou bien pire encore. Nous devons résister à ces manœuvres de diversion et faire les choses dans l’ordre cohérent. Quant à ceux qui nous affirment que l’Etat ne sera jamais en mesure de remplir sa tache, il faudrait leur expliquer que cette argumentation nie l’existence même du Liban à terme, sans compter que nous avons prouvé avant guerre que nous étions tout-a-fait capable d’avoir des institutions respectables.

 

Alors, ce qui nous reste à faire, c’est le chantier suivant :

  • Nous n’éviterons pas la nécessité absolue de nous doter d’une gouvernance capable de réagir aux problèmes, de prendre des décisions de manière efficace, de redonner leur droit aux citoyens, et de vaincre l’hydre de la « grande » corruption. Au passage, il faudra revoir le champ de l’Etat en le ramenant à son rôle de réglementation, de supervision efficace, et de fournisseur d’infrastructures et de services de base, et en le sortant des domaines où il crée de l’emploi inutile et inefficient.
  • Nous devons passer par une réforme budgétaire et fiscale permettant une meilleure redistribution au sein de notre société. C’est un pré-requis pour stabiliser notre pays sur des bases saines. Tout est prêt pour cela, nous avons les projets, et il suffit de lancer la machine.
  • Il faut revoir l’agenda de croissance pour éliminer les goulots d’étranglement devant des secteurs éminemment porteurs pour notre économie. Ca passe par le développement des marchés de capitaux, par la réforme du marché du travail, par l’élimination de la « petite » corruption, et par des infrastructures à niveau.
  • Le Liban doit se doter des filets sociaux qui rassurent ses travailleurs les plus méritants, et qu’il perd au profit de pays plus sécurisants. Cette ressource humaine est nécessaire à toute reprise solide.
  • Notre système financier doit trouver plus d’opportunités sur le marché local, et se diversifier. Cela passe par des liens plus solides avec le reste du monde, via sa mise aux normes et le renforcement de sa crédibilité, tous deux nécessaires à renforcer son rôle de place financière, et via une moindre exposition aux risques souverains. Le différentiel de profitabilité devra venir d’activités porteuses de fees accompagnant la diversification.

En clair, nous devons jouer le jeu et nous remettre parmi les chefs de file de la mutation qui s’opère partout dans le monde, forts de talents comme vous qui nous donnent un avantage inestimable par rapport à d’autres systèmes en transition. Il faut le faire sans complexe ni frilosité, sans permettre à une poignée de profiteurs de nous interdire de faire les bons choix et de prendre les bonnes décisions.

 

A ce titre, et aussi pour m’avoir écouté si longtemps, je vous remercie.